Respect de la dignité et les droits de la personne : Examen des campements de personnes en situation d'itinérance de la défenseure fédérale du logement

Publication Type

Le rapport final de la défenseure sur les campements au Canada réclame la création d'un plan national d'intervention sur les campements et formule des recommandations finales aux gouvernements à tous les niveaux.

Rapport final

Sommaire

Les campements de personnes en situation d'itinérance au Canada constituent une crise nationale des droits de la personne.

Un nombre croissant de personnes au Canada doivent vivre dans des tentes ou des abris informels pour survivre en raison du manque de logements abordables, de services d'aide limités et de l'absence d'endroits sûrs.

Le nombre de campements a considérablement augmenté au cours des cinq dernières années, plus particulièrement depuis la pandémie de COVID-19. On retrouve aujourd'hui des campements partout au pays, tant dans les grandes que les petites municipalités, et même dans les zones plus rurales.

Les campements ne constituent pas une solution sûre ou durable en matière de logement. Pour les personnes vivant dans ces campements, chaque jour est une question de vie ou de mort.

Parallèlement, les campements représentent un effort de la part des personnes non logées pour revendiquer leur droit au logement et répondre à leurs besoins les plus élémentaires en matière d'hébergement. Pour les raisons évoquées dans le présent rapport, les campements sont souvent la seule option de logement des personnes concernées, ou la seule option qui réponde à leurs besoins en matière de sécurité et de dignité. De nombreux résidents des campements ont souligné le sentiment de communauté qu'ils ressentent en vivant dans un campement avec d'autres personnes confrontées à des difficultés semblables.

Reconnaissant la gravité de cette crise, la défenseure fédérale du logement a lancé un examen systémique des campements en février 2023. Cet examen systémique a été réalisé conformément au paragraphe 13.1(1) de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement.

En octobre 2023, la défenseure a publié un rapport provisoire exposant le contexte de la crise et documentant en détail ce qui a été entendu dans le cadre du processus de participation significative. Le processus a permis de consulter directement les personnes vivant dans des campements, les défenseurs des communautés locales, les gouvernements et les organisations représentatives autochtones, ainsi que les responsables de tous les niveaux gouvernementaux.

Ce rapport final comprend les conclusions de la défenseure fédérale du logement sur les facteurs conduisant à l'augmentation du nombre de campements et, ce qui est encore plus important, les mesures concrètes qui doivent être prises par tous les gouvernements pour assumer leurs responsabilités en matière de droits de la personne afin de réduire ou d'éliminer le besoin de campements.

Il en ressort une image claire d'une double crise des droits de la personne.

Tout d'abord, les résidents des campements risquent fort de subir des préjudices en raison du nonrespect de leurs droits fondamentaux.

Deuxièmement, les campements n'existent qu'en raison d'un échec plus large et systémique à faire respecter le droit de toutes les personnes à un logement adéquat sans discrimination.

Le processus de participation significative a clairement montré que le Canada a la capacité de résoudre cette crise. Les habitants des campements sont parfaitement conscients des mesures à prendre pour répondre à leurs besoins les plus urgents. Ce qui fait défaut, c'est l'absence d'une volonté politique, de ressources et de coordination.

L'absence de coordination efficace entre les nombreux organismes, ministères et juridictions concernés limite l'efficacité des réponses à la crise de l'itinérance. Bien que les municipalités soient en première ligne dans la lutte contre les campements, elles ne disposent pas de tous les pouvoirs et de toutes les ressources nécessaires pour fournir des services fondés sur les droits de la personne. Les provinces et les territoires doivent travailler en étroite collaboration avec les municipalités et le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de chef de file.

Cette crise nationale appelle une réponse nationale.

Plan national d'intervention sur les campements

La défenseure fédérale du logement recommande au gouvernement fédéral d'établir un plan national d'intervention sur les campements. Ce plan doit entraîner des changements urgents qui répondent aux appels à l'action développés dans ce rapport et adressés à tous les gouvernements du Canada. Les appels à l'action ont été élaborés à la suite d'une vaste consultation avec les résidents des campements, les organismes communautaires et les municipalités dans l'ensemble du pays.

La défenseure fédérale du logement demande au gouvernement fédéral d'établir, d'ici le 31 août 2024, un Plan national d'intervention sur les campements qui va :

  • Permettre d'agir immédiatement pour sauver des vies.
    • Veiller à ce que toutes les personnes vivant dans des campements aient accès aux produits de première nécessité dont elles ont besoin pour survivre et vivre dans la dignité, ainsi qu'à des services destinés à protéger leur santé physique et mentale.
    • Elles doivent avoir accès à de l'eau, de la nourriture, des services sanitaires, du chauffage et de la climatisation, de l'aide à l'accessibilité, des soins de santé et des mesures de réduction des méfaits.
    • Veiller à ce que les centres d'accueil soient accessibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, tout au long de l'année, afin d'offrir aux personnes un endroit digne pour se reposer, se mettre à l'abri des intempéries et accéder aux services.
  • Mettre fin aux expulsions forcées des campements.
    • Les expulsions forcées de campements augmentent l'insécurité des personnes et les exposent à un risque accru de préjudice et de violence. Les expulsions déstabilisent les personnes, les éloignent de leurs systèmes de soutien et leur font perdre les outils et l'équipement dont elles ont besoin pour survivre.
    • Mettre fin immédiatement aux expulsions forcées des campements, en particulier sur les terres publiques. Les expulsions forcées constituent une violation des droits de la personne, tels qu'ils sont énoncés à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et dans le droit à un logement adéquat en vertu du droit international.
    • Mettre en place des alternatives aux démantèlements des campements. Donner la priorité à une participation significative des résidents des campements afin de trouver des solutions qui répondent à leurs besoins.
    • Tous les gouvernements doivent veiller à ce que les lois, les règlements et les arrêtés ne déstabilisent pas davantage les campements et n'exposent pas les résidents à des risques accrus de préjudice et de violence.
    • Le rôle de la police et des agents chargés de faire appliquer les règlements devrait être mis en arrière-plan dans les réponses aux campements. La police, les agents chargés de faire appliquer les règlements et les services d'urgence ont besoin de directives claires leur indiquant de mettre fin à la confiscation des biens, à la surveillance et au harcèlement, qui violent les droits de la personne des résidents des campements. Toutes les mesures d'application de la loi doivent être conformes aux normes en matière de droits de la personne.
  • Travailler avec tous les gouvernements et apporter un soutien aux municipalités.
    • Organiser immédiatement des réunions avec les responsables des provinces, des territoires et des municipalités afin de coordonner la réponse de l'ensemble des paliers gouvernementaux.
    • Élaborer toutes les mesures d'intervention sur les campements en consultation et en coopération avec les gouvernements des Premières Nations, des Inuits et des Métis et les organisations qui les représentent.
    • Engager le maximum de ressources et de fonds disponibles pour faire face à cette crise.
    • Veiller à ce que les municipalités disposent des ressources et des pouvoirs nécessaires pour répondre aux besoins urgents des résidents des campements et pour faire respecter leurs droits fondamentaux.
    • Inclure des objectifs et des délais clairs pour le Plan d'intervention national sur les campements.
  • Respecter les droits inhérents des peuples autochtones.
    • Tous les gouvernements doivent s'engager à respecter la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et à travailler en consultation et en coopération avec les gouvernements des Premières Nations, des Inuits et des Métis afin de mettre pleinement en œuvre ses dispositions. En particulier, tous les gouvernements doivent travailler avec les peuples autochtones pour répondre plus efficacement aux besoins spécifiques des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis vivant en milieu urbain, particulièrement les personnes non logées et qui vivent dans des campements.
    • Reconnaître la compétence des gouvernements autochtones pour déterminer, développer et administrer des programmes et services liés au logement et à l'itinérance. Soutenir les gouvernements et les organisations représentatives des Premières Nations, des Inuits et des Métis pour développer et fournir des logements déterminés par les communautés ellesmêmes et culturellement adaptés à celles-ci, ainsi que des services et des aides connexes. Cela inclut les centres urbains, en partenariat avec les prestataires de services autochtones existants, lorsque cela s'avère nécessaire.
    • Les gouvernements et les organisations représentatives des Premières Nations, des Inuits et des Métis doivent être pleinement soutenus pour développer et fournir des logements déterminés par les communautés elles-mêmes et culturellement adaptés à celles-ci, ainsi que des services et des aides connexes, y compris dans les centres urbains.
  • Respecter et faire respecter les droits de la personne.
    • En l'absence d'alternatives de logement adéquates, abordables et accessibles, tous les gouvernements doivent reconnaître que les personnes ont le droit de vivre dans des campements.
    • Les personnes vivant dans des campements doivent jouer un rôle de premier plan dans les processus décisionnels qui les concernent. Tous les gouvernements doivent s'engager de manière continue et significative auprès des personnes vivant dans des campements et celles qui les soutiennent.
    • Les personnes vivant dans des campements doivent avoir accès à des recours rapides et efficaces lorsque leurs droits sont menacés ou violés.
    • Tous les gouvernements et responsables politiques à tous les niveaux ont l'obligation de promouvoir et de protéger les droits de la personne et la dignité des personnes en situation d'itinérance. Les dirigeants doivent s'abstenir de toute action et de tout langage qui stigmatisent davantage les résidents des campements ou les personnes en situation d'itinérance, et qui les exposent à un risque accru de violation de leurs droits.
    • Tous les gouvernements doivent s'engager publiquement à appliquer aux campements des solutions fondées sur les droits de la personne qui reconnaissent et répondent aux besoins spécifiques des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis, des personnes noires et des autres personnes racisées, des femmes, des personnes 2ELGBTQQIA+, des personnes fuyant la violence fondée sur le genre, des jeunes, des personnes âgées et des personnes en situation de handicap. Ces approches doivent s'aligner sur les obligations du Canada en matière de droits de la personne, telles qu'elles sont affirmées dans les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, dans la Charte et dans le droit national.
  • Offrir aux personnes des options de logement permanent aussi rapidement que possible.
    • Développer et financer immédiatement des solutions de logement et de soutien adéquates afin que les personnes vivant dans des campements puissent être relogées aussi rapidement que possible.
    • Ces solutions de logement doivent répondre à la définition du logement adéquat, qui comprend la sécurité d'occupation, le caractère abordable, l'accessibilité, l'emplacement approprié, la disponibilité des services, l'habitabilité et l'adéquation culturelle.
    • En l'absence de logements adéquats disponibles, tous les gouvernements et prestataires de services doivent s'efforcer de remédier aux obstacles structurels qui font que les refuges d'urgence existants ne sont pas accessibles ou appropriés pour toutes les personnes qui choisiraient de les utiliser.
  • S'attaquer aux causes profondes des campements.
    • Les campements sont le symptôme de défaillances systémiques – tous les gouvernements doivent d'urgence donner la priorité aux investissements dans des logements adéquats et des services d'aide pour prévenir et réduire l'itinérance. Tous les gouvernements doivent travailler ensemble pour s'attaquer aux systèmes qui alimentent l'itinérance, notamment le racisme et la discrimination systémiques et les défaillances des systèmes canadiens de protection de l'enfance, de services correctionnels, et de soins de santé.
    • La Stratégie nationale sur le logement doit être considérablement renforcée et ses programmes doivent prioriser l'élimination de l'itinérance chronique et la réduction des besoins impérieux en matière de logement, en mettant l'accent sur les peuples autochtones et les groupes défavorisés, afin de respecter les engagements pris dans le cadre de la Loi sur la stratégie nationale sur le logement.
    • Tous les gouvernements doivent s'assurer qu'ils suivent la réalisation progressive du droit à un logement adéquat et mettre en place des systèmes de mesure qui incluent des données précises, complètes et reproductibles sur l'itinérance.

Les prochaines étapes

Des recommandations spécifiques sont formulées dans le rapport pour permettre aux gouvernements à tous les paliers de mettre en œuvre les appels à l'action.

Les conclusions et les recommandations de ce rapport seront soumises au ministre fédéral du Logement, de l'Infrastructure et des Collectivités. La Loi sur la stratégie nationale sur le logement précise que lorsque le gouvernement fédéral reçoit le rapport d'un tel examen systémique, le ministre responsable du logement doit y répondre dans un délai de 120 jours.

Ce rapport est un urgent appel à l'action lancé aux gouvernements à tous les niveaux pour qu'ils respectent les droits de la personne et le droit au logement des résidents des campements.